Sidi larbi cherkaoui
assisté de Kevin Vivès et Josépha Madoki
Sidi larbi cherkaoui
assisté de Kevin Vivès
C’est Luc Plamondon qui m’a parlé le premier de Starmania. La conversation a commencé avec lui, puis avec Raphaël Hamburger, puis avec Thomas Jolly. Ce temps long m’a donné la possibilité de voir comment je pouvais m’investir dans cette aventure, ce que je pouvais lui apporter. C’était quelque chose de très touchant pour moi, car j’ai grandi avec cette musique, elle a fait partie de mon éducation.Faire renaître aujourd’hui Starmania, c’est donner à une autre génération l’opportunité de rencontrer cette musique magnifique, de rencontrer cette histoire, qui est prophétique à de nombreux niveaux. Avec ses personnages qui pourraient être sortis notre univers politique contemporain comme Zéro Janvier. Avec ses visions orwelliennes, qui sont devenues vraies, par exemple les « numéros dans le dos » que chante Cristal dans Monopolis, et qui sont comme les QR codes avec lesquels on a vécu pendant la pandémie. Avec ses rêves de célébrité au travers d’une plate-forme -c’était la télévision dans les années 70, aujourd’hui ce serait Instagram ou Tiktok. Il y a quelque chose de fascinant dans cette histoire qui a plus de 40 ans et qui en même temps raconte notre vie d’aujourd’hui : depuis 1978, tout a changé et rien n’a changé.Je viens de l’univers de la danse-théâtre. Dans mon travail de metteur en scène d’opéra comme dans mon expérience de chorégraphe pour le musical (Jagged litttle Pill qui tourne à travers le monde et a obtenu un Tony Award), je réfléchis toujours au niveau de la dramaturgie. La chorégraphie doit être porteuse d’une transformation, chaque geste doit être porteur d’un sens, et pas simplement être joli.
De même que la musique confère aux mots un deuxième niveau de sens, j’aime trouver un troisième sens aux mots chantés. Chercher, à chaque fois, une autre vérité à l’intérieur d’eux. Il ne s’agit pas de rajouter quelque chose, mais d’aller toujours plus loin en profondeur.
La rencontre avec Thomas Jolly a été super. Il a une énergie folle, une vitesse d’esprit impressionnante. Il est vif, éveillé, conscient. C’était passionnant d’échanger avec lui, d’entrer dans sa vision, de me mettre au service de cette vision en tant que chorégraphe. La chorégraphie fait partie prenante de la dramaturgie. Je vais essayer de travailler avec les danseurs pour qu’ils incarnent absolument la musique. Que leurs mouvements donnent à la musique quelque chose de visuellement présent, de palpable. Thomas aussi a une conscience du mouvement très précise. Je lui dis à chaque fois : « mais tu es aussi un chorégraphe ! ». Il a cette capacité à savoir ce qu’il veut voir.
Il travaille sur le sens, celui de l’histoire, celui des mots. Il traduit cela dans des images fortes et avec une « physicalité » très présente, et cette « physicalité » sera l’un des partis-pris de notre travail.
Les danseurs sont 12, 6 hommes et 6 femmes. J’ai déjà travaillé avec certains d’entre eux dans d’autres contextes. Il y a aussi de nouveaux danseurs et de nouvelles danseuses, que je rencontre pour la première fois, et qui m’ont bluffé dans les auditions. Ils ont tous une sorte de vocabulaire très personnel, très pointu. C’est sur eux que j’ai envie de m’axer. Ils sont inspirés par des styles qui viennent de la rue, et qu’ils développent comme s’ils étaient le langage de chaque personnage. Leur caractère singulier, leur unicité doivent porter le mouvement, de la même manière que Starmania, en tant que musique, a été portée par des voix très particulières, de chanteurs et de chanteuses iconiques qu’on n’oubliera jamais. J’ai envie de trouver dans la chorégraphie quelque chose de cet ordre-là, qu’on se rappelle ce danseur ou de cette danseuse, qu’on soit bluffé par son énergie et sa capacité à se fondre avec la chanson, pour ne faire plus qu’un Ce qui me touche infiniment dans Starmania, c’est sa dimension apocalyptique, qui fait coexister un tel désespoir et une telle beauté. Comment l’œuvre parle d’amour, dans un univers d’individualisme extrême. Je suis aussi bouleversé par l’espace qu’elle donne à la diversité, par sa capacité à voir la
valeur des êtres humains, que la société a tendance à réduire à leur place sur une échelle, avec des gens au top et des gens tout en bas. En tant que jeune homme homosexuel, le personnage de Ziggy m’a énormément touché : à une époque où certaines minorités étaient invisibles, où il n’y avait pas de mots pour en parler, Starmania y parvenait d’une très belle manière. La beauté de Starmania, c’est de créer un univers pour tous.
Sidi Larbi Cherkaoui débute sa carrière de chorégraphe en 1999 dans « Anonymous Society« , une comédie musicale contemporaine d’Andrew Wale inspirée de la musique de Jacques Brel. Depuis, il a créé une œuvre colossale, qui s’étend au-delà des frontières des cultures et des disciplines. Il est aujourd’hui le directeur artistique du Ballet du Grand Théâtre de Genève (après plusieurs années à la direction du Ballet royal de Flandre) ainsi que de sa propre compagnie de danse Eastman. Il est aussi un artiste associé au Sadler’s Wells Theatre à Londres et au Théâtre National de Bretagne à Rennes. Sidi Larbi Cherkaoui propose au public une multitude de projets et de collaborations ; allant de la danse contemporaine au théâtre, du ballet aux comédies musicales, des arts du cirque au cinéma.
Cherkaoui s’est illustré à plusieurs reprises dans le domaine de la comédie musicale. Il signe en 2005 une nouvelle collaboration avec le metteur en scène Andrew Wale avec « Some Girls Are Bigger Than Others » qui s’inspire des chansons et de la musique de Morrissey, chanteur des Smiths. Son travail en tant que chorégraphe de comédie musicale peut être vu actuellement à Broadway avec « Jagged Little Pill« , réalisé par Diane Paulus et avec un livret de Diablo Cody. Le spectacle est inspiré de l’album éponyme d’Alanis Morissette datant de 1995.
Sa participation à deux spectacles du Cirque du Soleil (« Michael Jackson ONE » en 2013 et « Kurios » en 2014) mérite également d’être mentionnée.
Dans le domaine de la musique, Cherkaoui s’est fait connaître du grand public grâce à ses nombreuses collaborations avec Beyoncé. En 2016, il est appelé à chorégraphier une partie du morceau « 6 Inch » à l’occasion de sa performance au concert caritatif TIDAL X: 10/15. Quelques mois plus tard, il participe à la chorégraphie du medley de neuf minutes « Lemonade » à l’occasion de la cérémonie des Grammy Awards. Beyoncé et Jay-Z lui demandent également son avis sur leur tournée « On the Run II Tour » en 2018.
Il est par la suite convié à co-chorégraphier le clip vidéo « Apeshit« , réalisé par Ricky Saiz au musée du Louvre. Plus récemment, Cherkaoui a conçu la chorégraphie du clip vidéo « Spirit« , une chanson issue de la bande originale du film « Le Roi Lion« .
Il a également créé des clips vidéo avec le groupe islandais Sigur Rós, le chanteur-interprète Woodkid et le groupe britannique Depeche Mode.
Cherkaoui a également fait plusieurs incursions dans le cinéma. Il a notamment chorégraphié le long-métrage de Joe Wright, « Anna Karénine » en 2012. Plus récemment, il a signé la chorégraphie de plusieurs scènes du film « Girl » de Lukas Dhont, lauréat de la Caméra d’Or au Festival de Cannes et nominé pour un Golden Globe.
Même s’il est à de multiples occasions sorti des sentiers battus, le lien qu’il entretient avec la danse contemporaine et le ballet demeure profondément ancré dans son travail. Il s’est associé avec le Ballet de l’Opéra de Paris dans le cadre de plusieurs créations : « Boléro » (2013) avec Damien Jalet et Marina Abramović, « Casse-Noisette » (2016) pour Dmitri Tcherniakov et sa nouvelle chorégraphie verra le jour au cours de la saison (2020-21). Son affinité pour le ballet l’a mené à ses réalisations les plus médiatisées et à ses collaborations transversales les plus prometteuses, notamment avec des artistes plasticiens (Amine Amharech, Hans Op de Beeck, Antony Gormley…), des créateurs (Hedi Slimane, Karl Lagerfeld, Riccardo Tisci, Jan-Jan Van Essche…) et des musiciens (A Filetta, Felix Buxton, pour n’en citer que quelques-uns). Il a également créé des pièces pour des danseurs de ballet renommés à l’instar de Natalia Ossipova (le trio « Qutb », 2016), Carlos Acosta (le duo « Mermaid », 2017), Marie-Agnès Gillot et Friedemann Vogel (un duo issu du ballet « Firebird » pour la Fondation Louis Vuitton, 2017).
Au cours de sa carrière, Sidi Larbi Cherkaoui a reçu de nombreuses récompenses. Il a notamment reçu deux Olivier Awards (en 2011, pour « Babel(words) » avec Damien Jalet, et en 2014 pour « Puz/zle« ), trois Tanz Awards pour meilleur chorégraphe (2008, 2011, 2017), un Fred & Adele Astaire Award pour le film « Anna Karénine » (2012) nominé aux Oscars et aux BAFTA, et le Nijinsky Award pour Chorégraphe Prometteur en 2002 pour « Rien de Rien« . Plus récemment, il a reçu un Elliot Norton Award pour son travail chorégraphique exceptionnel sur la comédie musicale « Jagged Little Pill » (2019). Son talent a été reconnu bien au-delà du monde de la danse. En 2009, Cherkaoui s’est vu attribuer le Kairos Prize par la fondation Alfred Toepfer Stiftung en gage de remerciement pour sa philosophie artistique et son engagement en faveur du dialogue culturel. L’Université d’Anvers lui décerne un doctorat honorifique en 2016. En 2018, il reçoit le Prix Europe pour le Théâtre reconnaissant son « engagement perpétuel à former des collaborations avec des artistes du monde entier ». En décembre 2019, le gouvernement français lui attribue le titre de « Commandeur de l’Ordre des Arts et des Lettres ».
Sidi Larbi Cherkaoui est très heureux de prendre part à l’aventure « Starmania« , une œuvre avec laquelle il est très familier puisque les chansons de Michel Berger et Luc Plamondon ont bercé son enfance. L’atmosphère dystopique du spectacle l’inspire et l’intrigue profondément. Même quarante ans après la création du spectacle, Sidi Larbi Cherkaoui continue de s’identifier aux thèmes de cette œuvre classique. Aujourd’hui, il souhaite en donner une version actualisée.
Crédit photo : Joris Casaer